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Ce projet photographique se donne pour point de départ l’épreuve désormais quotidienne du miroir. Miroir de poche, de salle de bain, ou d’ascenseur, miroir décoratif ou reflet inattendu dans l’espace public, le miroir rassure ou inquiète selon le jour et l’humeur. S’examiner, s’évaluer, sans concessions. Se connaître par cœur et pourtant, se laisser surprendre : c’est bien une nouvelle rencontre à chaque fois.
Se distinguer, se conformer, fidélité à soi ou séduction, quelle apparence choisir ? Action superficielle ou fondamentale ? Le corps comme simple enveloppe ou comme essence de l’individu ? Comment célébrer la beauté des corps ? L’épreuve du miroir soulève mille questions, de différents niveaux...

Ce reflet, cette image vivante mais réductrice de nous-même, il faudra nous en contenter. Notre apparence est notre alpha et notre oméga. Malgré cela, nous n’en ferons jamais le tour, condamnés à n’en saisir qu’un maigre échantillon. Et l’écart entre notre intérieur et notre extérieur nous semble parfois immense, infranchissable.
Face au miroir, l’apparence est notre seule ressource disponible. Condamnés à une superficialité stricte, tâcher d’œuvrer sur la surface pour la rendre polymorphe : « […] faire l’apologie des apparences pour mieux montrer leur néant et la caducité de toute chose, en une véritable ''ontologie du rien'' (Louis Marin). »(1) Dès lors affirmer, clamer, imposer le Moi façade et le Moi multiplicité propres à Cindy Sherman. L’apparence devient le matériau d’un jeu de masque destiné à rendre compte de la porosité du sujet. De sa fragilité mais également, par là même, de son actualité sans cesse renouvelée. Faire en sorte que cette insignifiance fasse présence.
Ici le corps est un matériau à modeler. Un corps d’argile, un corps de terre, un corps peut-être déjà poussière. Jouer avec sa plasticité afin d’en célébrer la richesse et la fragilité, la fugacité.

Ce travail réactualise en effet le genre historique des Vanités pour tenter de figurer les conditions de notre présence au monde, à une époque qui, ne garantissant aucune fin heureuse, garantit plutôt l’absence de toute fin : nous sommes les humains vivants dans la caverne de l’allégorie, mais contrairement à ceux de Platon, il n’y a pour nous ni monde supérieur ni feu éclairant : les ombres sont notre stricte réalité. Comme le souligne Évelyne Artaud, la disparition, l’inexistence, la mort, ne sont plus ''à venir'', elles sont déjà là, dans cette conscience de notre vanité.
Ainsi, notre présence au monde ne repose plus que sur la maigre certitude du présent. Un présent qu’il nous faut habiter intensément pour le rendre ''épais'', s’efforcer de le rendre signifiant : c’est un processus en acte. Et l’on retrouve alors, dans le Tartare, Sisyphe fournissant «  un effort quotidien et vain pour donner sens à l’absurdité de l’action »(2). Une lutte incessante contre la pesanteur pour Sisyphe. Contre l’inconsistance pour l’humanité.

Les prises de vues de ce projet sont réalisées en numérique plein format afin de garantir la qualité nécessaire à des agrandissements conséquents et de pouvoir pratiquer les légères retouches permettant de s’approcher d’une pratique picturale.
Afin également de retrouver le caractère menaçant des Vanités classiques, on privilégiera le grand format (légèrement supérieur à la taille réelle) et la qualité des tirages.

 

 

1.
Christine Buci-Glucksmann. Les Vanités secondes de l’art contemporain.
In Anne-Marie Charbonneaux. Les Vanités dans l’art contemporain.
Paris, Flammarion, 2010, p. 53

2.
Évelyne Artaud. La finitude en partage.
In Évelyne Artaud. Vanités contemporaines.
Paris, Cercle d’Art, 2002, p. 10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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